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Les propriétés de l'amour I

Quand Dieu trace le chemin de l'amour

© Max Dauner

Entrée en matière

1 Corinthiens 12.31 (TOB) : 31 Ayez pour ambition les dons les meilleurs. Et de plus, je vais vous indiquer une voie infiniment supérieure. En 1 Corinthiens 13.4-7, nous allons enfin apprendre, dans le concret, ce qu'est l'agapè. L'apôtre Paul nous a parlé d'abord de la valeur prééminente de l'amour pour que nous abordions cette description de sa nature, non pas seulement avec curiosité mais avec avidité. Il nous disait que c'est l'agapè qui donne sa valeur à toute chose. Même les choses les plus précieuses du monde – les dons surnaturels, la prophétie, la connaissance, la foi, les oeuvres caritatives, le martyre : ne valent rien si ce n'est pas l'amour qui fait battre leur cœur. L’agapè est le summum bonum, le plus grand bien, le sens de la vie, l'unique réponse au vide et à la « vanité des vanités » du monde.

De quoi donc est faite cette agapè ? Quel genre d'amour pourrait tenir de telles promesses ? Ce n'est certainement pas l'éros : le désir, l'activité ou la satisfaction sexuels, le succédané le plus populaire que le monde moderne a trouvé. Ce n'est pas simplement la storgè : le sentiment. Même pas l'affection et la tendresse qu'on éprouve instinctivement à l'égard de sa propre famille. Ce n'est pas l'amour plus spirituel qu'est l'amitié (philia). L'amitié implique réciprocité et partage. Mais partager le vide de l'autre n'est pas encore la plénitude, ce n'est qu'une consolation. Seule l’agapè apporte la plénitude. Seule l’agapè peut combler le vide, plus immense encore que toutes les galaxies, qui est au centre de notre cœur.

Nous avons besoin d'une description de l’agapè afin de pouvoir la distinguer des nombreuses contrefaçons et aussi de ses trois amours soeurs. Nous avons besoin de cette description non pas simplement pour des raisons d'exactitude linguistique, mais pour des raisons bien pratiques. En fait, c'est une question de vie et de mort. Ces versets sont, dans le désert de notre vie, une carte routière montrant le chemin à la seule source d'eau qui n'est pas en fin de compte un simple mirage.

Paul ne nous donne pas une définition abstraite. Plutôt que de définir l’agapè, il la décrit, il nous en énumère quinze qualités concrètes et identifiables. Ces quinze propositions nous disent ce qu'est l'amour en nous disant ce que fait l'amour, en nous montrant, par une série de quinze verbes, l'amour en pleine action.

Chacune des ces quinze qualités est quelque chose que nous désirons profondément. Seule l'agapè peut nous les fournir. L'amour est le passe-partout qui ouvre ces quinze portes. Prenez, par exemple, la première qualité : la patience. Comment arriverons-nous à devenir patients avec les autres ? En priant Dieu : « Seigneur, rend-moi patient… tout de suite ! » Non. En dépit de nos bonnes intentions, en dépit de notre sincérité, en dépit de notre besoin criant de patience, il nous arrive continuellement de perdre patience, même avec ceux qui nous sont les plus chers. Les amours naturels, aussi précieux qu'ils soient, ne suffisent pas. Ils sont comme un jardin : ils ont besoin d'un jardinier muni d'une houe et d'un râteau. Voilà le rôle de l'agapè : il cultive et perfectionne les autres amours. Quand nous aimons quelqu'un de l'amour-agapè, il est non seulement possible mais il est naturel de se montrer patient avec lui, car l'agapè prend patience.

Essayez un peu d'être patient sans l'agapè. Cela ne marchera tout simplement pas. Vous y arriverez aussi longtemps que vous vous sentirez patient. Quand les sentiments vous feront défaut, vous essaierez d'y substituer un effort de volonté : « Je serai patient avec cet espèce de…, même si je dois en mourir ! » Et en effet, vous risquez bien d'en mourir ! Vous découvrez alors deux choses : que votre volonté est ridiculement faible ; et que même si vous arrivez à réprimer votre impatience, elle est toujours là, tapie dans le noir. Vous l'avez enterrée, mais elle est toujours vivante. La patience doit venir du cœur, non pas des sentiments inconstants ni de l'autodiscipline.

Jésus ne nous donne pas simplement des conseils sur l'amour. C'est l'amour même qu'il nous donne. Il y a un véritable échange de personnalités : nous sommes placés « en Christ » et lui demeure en nous. Il est lui-même cet Amour qui est une voie infiniment supérieure. 1 Corinthiens 13.4-7 est la description de Jésus-Christ. Son amour ne peut être en nous que parce que lui-même est en nous. Nous acquérons l'agapè, non pas en faisant de plus grands efforts, non pas par l'héroïsme moral, mais par la foi : en accueillant le Christ, en le laissant envahir notre vie, en laissait sa parole, son Esprit, habiter en nous dans toute sa richesse.

Lisons donc les versets de notre texte. 1 Corinthiens 13.4-7 : 4 L'amour prend patience, l'amour se montre bon, il ne brûle pas d'un zèle fanatique, il ne se vante pas, il ne se gonfle pas de vanité, 5 il ne fait rien d'inconvenant, il ne cherche pas son intérêt, il ne s'irrite pas, il ne tient pas compte du mal, 6 il ne se réjouit pas de l'injustice, mais il trouve sa joie dans la vérité. 7 Il couvre tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout. Voilà les quinze propriétés de l'agapè, l'amour chrétien. Abordons donc la première.

L’amour prend patience

La patience est une vertu que nous admirons chez le conducteur de la voiture derrière nous mais pas chez celui qui est devant nous. Le verbe grec utilisé ici, macrothymeô, est composé de l'adjectif macros = « long » et du substantif thymos = « colère, emportement ». Ces termes correspondent à l'expression hébraïque « avoir le nez long », c'est-à-dire « être lent à la colère ». Le meilleur équivalent français serait peut-être le mot « longanimité », qui exprime la notion de patience par l'idée de longueur.

Prendre patience, c'est supporter longuement chez les autres ce qu'on a vraiment pas envie de supporter longuement. Quelqu'un dira peut-être : « Qu'entends-tu par 'longuement' ? Pendant combien de temps faut-il supporter quelqu'un ? » Je n'ai pas de réponse facile à vous donner. On ne peut pas marquer des dates sur un calendrier pour délimiter à l'avance le pouvoir de l'amour : « Je prendrai patience jusqu'à samedi prochain mais pas au-delà ». Quand nous demandons : « Pendant combien de temps ? », la réponse générale est : « très longtemps ». Peut-être pour le restant de votre vie. Peut-être jusqu'à demain.

Or, supporter longuement ne signifie pas qu'il faut supporter interminablement. Le moment arrive où même la patience de l'agapè atteint ses limites. Mais dites-vous bien que notre tendance naturelle, c'est de couper court à la patience. L'amour nous donne le pouvoir de supporter bien plus longtemps que nous ne nous en aurions jamais cru capables.

Ce n'est pas que l'amour est trop indulgent envers le mal. Il ne prend pas patience parce qu'il a peur de dénoncer l'injustice et de la combattre. S'il supporte un peu plus longtemps ce qu'il hait, c'est pour donner aux forces rédemptrices le temps d'agir, pour que la justice puisse se faire sans violence irréfléchie et inutile, pour rendre possible la conversion et la réconciliation. Nous ne voyons, nous, que le mal subi, l'agapè voit les hommes et les femmes. Nous ne voyons que le péché et voulons qu'il soit puni tout de suite ; l'agapè voit le pécheur et veut lui donner encore un peu de temps pour revenir. L'amour ne se lance pas à bride abattue dans l'exécution du jugement. Il prend patience, il attend un nouveau jour, un lendemain où les choses changeront peut-être. La longanimité, c'est « le pouvoir de ne pas faire saisir un avenir hypothéqué ».

L'agapè est le remède de notre impatience personnelle, de notre tendance à réagir avec violence ; à vouloir régler tous les comptes tout de suite ; à abandonner trop vite la partie quand ça ne va plus dans notre couple, ou quand ça ne va plus avec nos enfants, ou quand ça ne va plus avec nos frères et soeurs dans la foi. Ephésiens 4.2-3 (TOB) : 2 En toute humilité et douceur, avec patience, supportez-vous les uns les autres dans l'amour ; 3 appliquez-vous à garder l'unité de l'esprit par le lien de la paix.

Si vous avez besoin d'un modèle à suivre, ce n'est pas trop difficile d'en trouver un : Dieu est patient. Il freine sa colère pour donner aux pécheurs un peu plus de temps pour se réconcilier avec lui. George Bernard Shaw disait, en mesurant le mal et l'immoralité qui règnent dans le monde : « Si j'étais Dieu, j'enverrais un nouveau déluge. Seulement, il n'y aurait pas cette fois de survivants. » Pourquoi, pourrait se demander un ange, Dieu n'a-t-il pas laissé tomber il y des siècles ces rebelles stupides ? Pourquoi Dieu ne met-il pas fin à cette source de frustration qu'est l'histoire humaine ? » La réponse : Dieu est amour, et l'amour prend patience. 2 Pierre 3.9 (TOB) : 9 Il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent mais que tous parviennent à la conversion.

L’amour se montre bon

Le verbe grec chrèsteuomai évoque à la fois deux idées : la bonté de coeur et l'utilité, c'est-à-dire une bienveillance intérieure qui se manifeste par des actes de service. La bonté est la puissance impressionnante de l'agapè mis au service de la guérison des âmes. Une telle bonté peut être douce, elle n'est pas molle ; elle peut être tendre, elle n'est pas faible ; elle peut être sensible, elle n'est pas fragile.

Notre monde compétitif et impitoyable a du mal a comprendre que la bonté est une puissance. Le philosophe allemand Friedrich Nietzsche détestait le christianisme parce que le christianisme encourageait la bonté. Nietzsche accusait l'amour chrétien de drainer les forces des forts en les poussant à gaspiller leurs énergies sur les faibles : les lépreux, les infirmes, les opprimés. En les tournant vers la bonté, disait-il, l'amour chrétien affaiblissait les éléments forts de la race humaine. Par conséquent, si on débarrassait le monde de la foi chrétienne, on pourrait à nouveau produire des surhommes. Les forts deviendraient plus forts et les faibles s'éteindraient.

Nietzsche ne savait pas à quel point il se trompait ! Loin d'être une faiblesse, la bonté est une force énorme qui dépasse de loin celle que possèdent, sauf à de rares moments, la plupart d'entre nous. La bonté est le pouvoir qui nous pousse à venir en aide et à guérir quelqu'un qui ne peut rien nous offrir en retour. C'est le pouvoir qui pousse un moi égocentrique vers les faibles, les méprisés, les coeurs blessés pour les servir personnellement, sans attendre une récompense de leur part.

C'est le pouvoir de s'approcher de l'autre pour le guérir. La pitié qui jaillit de notre coeur à la vue d'un documentaire télévisé sur des enfants mourant de faim n'est pas la bonté. La bonté nous donne la force de faire quelque chose, d'aller prendre l'enfant dans nos bras et le nourrir. C'est le pouvoir de laver les plaies d'un lépreux de nos propres mains. C'est le pouvoir de porter les fardeaux d'un autre en partageant sa douleur dans notre propre âme.

La bonté a parfois besoin de se montrer très dure afin de guérir. La bonté forcera peut-être un drogué à endurer l'enfer d'une cure de désintoxication. La bonté dira peut-être « non » à un enfant gâté. La bonté dénoncera peut-être un crime commis par un ami. La bonté essayera de déterminer le moyen qui sera le plus susceptible d'accomplir la fin recherchée : la guérison. Si la guérison exige la dureté, la bonté sera dure.

Le modèle suprême de cette bonté puissante est Dieu lui-même. Puisqu'il ne rend pas service afin d'en tirer quelque profit, il peut se montrer bon envers tous, sans faire de distinction. Luc 6.35 (TOB) : 35 « Car le Très-Haut est bon, lui, pour les ingrats et les méchants. » Matthieu 5.45 (TOB) : 45 « Il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes. » La bienfaisance de Dieu est sans calcul, elle n'est ni la récompense des mérites humains, ni une tentative de s'attirer des applaudissements humains. La bonté de Dieu vient de sa propre force d'amour.

La bonté a porté Dieu à devenir un être humain comme nous. Tite 3.4-5 (TOB) : 4 Mais lorsque se sont manifestés la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes, 5 il nous a sauvés. L'amour le poussait, en tant qu'homme, à faire le bien et à rendre service. Il guérissait les malades, lavait les pieds sales, pleurait avec les gens accablés par le chagrin, défendait une prostituée, fréquentait les pécheurs et les gens religieusement déclassés. Pendant toute sa vie, il était puissant en bonté. Mais on l'a pendu. On a planté un poteau dans la terre, on y a attaché une traverse et on l'y a crucifié.

La bonté comporte des risques effrayants. Il est de loin plus facile de laisser les assistants sociaux s'occuper de tout cela. Eux ils savent ce qu'il faut faire et comment s'y prendre. Ils savent comment s'occuper des fraudeurs et des profiteurs. Mais que l'on ne s'y trompe pas : si nous laissons aux professionnels les oeuvres de la bonté, l'amour se perdra et sera remplacé par l'efficacité.

La bonté est un pouvoir qui peut guérir les maux du monde, un pouvoir qui peut guérir les maux de nos familles, qui peut guérir les maux de l'Eglise. Deux promeneurs se rencontrent sur un chemin de montagne. D'un côté s'élève à la verticale une muraille de rocher ; de l'autre côté, c'est la précipice. Le chemin ne fait que quelques centimètres de large. Comment vont-ils passer ? Après avoir fait plusieurs tentatives en marchant en crabe, ils restent plantés là à se gratter la tête. Finalement, l'un d'eux, sans rien dire, s'allonge par terre et laisse l'autre lui marcher dessus. C'est ça la bonté. L'amour se plaît à rendre service.

Il ne brûle pas d'un zèle fanatique

(TOB : « il ne jalouse pas »). A mon avis, le verbe grec zèloô ne se rapporte pas ici à la jalousie-envie mais à la jalousie-zèle. Dans son sens premier, zèloô signifie « entrer en ébullition », « être chaud, se montrer enthousiaste » pour quelque chose. Il nous a donné en français le mot « zélateur » : partisan zélé d'une cause, le « super-militant ». Le zèlos est une passion qui fait penser à du feu et rend bien le mot hébreu qin'ah dont la racine désigne la rougeur qui monte au visage d'un homme sous l'influence d'une grande passion. Le zèle est une réalité bien ambiguë dans les Écritures. A cette passion brûlante, à ce dévouement militant qu'est le zèle se mêle toujours une part de violence qui peut entraîner l'agressivité sectaire. Proverbes 27.4 (TOB) : 4 La fureur est cruauté, la colère débordement, mais qui tiendra devant la qin'ah [Chouraqui traduit : « ardeur »] ? La jalousie-zèle. Mieux vaut affronter la fureur, elle finira par s'apaiser. Mais le feu du zèle sectaire continuera à brûler jusqu'à ce qu'il ait consumé celui contre qui il s'acharne. Il ne fait pas de prisonniers.

Voilà justement ce que le Nouveau Testament entend par zèlos dans les textes ayant trait aux désordres dans les communautés chrétiennes : un esprit combatif et sectaire, une passion exaltée pour ses propres idées, sa propre méthode, son propre mouvement. Si elle n'est pas domptée par l'amour, cette « sainte ferveur » finira par déchirer une Église.

C'est justement ce qui se passait dans l'Église de Corinthe. 1 Corinthiens 3.3-4 (TOB) : 3 Puisqu'il y a parmi vous jalousie [gr. zèlos] et querelles, n'êtes-vous pas charnels et ne vous conduisez-vous pas de façon tout humaine ? 4 Quand l'un déclare : « Moi, j'appartiens à Paul », l'autre : « Moi à Apollos », n'agissez-vous pas de manière tout humaine ? Ce n'est pas la jalousie-envie que Paul dénonce ici, mais le zèle sectaire pour des tendances différentes. 2 Corinthiens 12.20 (TOB) : 20 Je crains en effet de ne pas vous trouver à mon arrivée tels que je veux, et que vous ne me trouviez pas tel que vous voulez ; qu'il n'y ait chez vous de la discorde, de la jalousie [zèlos], des emportements, des rivalités, des médisances, des commérages, de l'insolence, des remous. Un zèle agressif et compétitif qui soulève continuellement des contestations.

Même aujourd’hui, ils nous arrive dans l'Eglise de nous entre-déchirer. On n'ose plus parler entre chrétiens de certains sujets, si l'on n'est pas sûr que tout le monde autour de la table est du même avis. Ecoutez cette traduction de Jacques 3.14-18 (François Vouga) : 14 Si fanatisme [gr. zèlos] amer et esprit de rivalité gagnent votre cœur, ne vous dressez pas avec présomption et ne mentez pas contre la vérité. 15 Cette sagesse-là ne vient pas d'en haut ; elle est à ras de terre, humaine, démoniaque. 16 Où fanatisme et rivalité ont cours, là se multiplient anarchie et force fâcheuses affaires. 17 La sagesse d'en haut est en revanche pure, d'abord, puis pacifique, modérée, conciliante, pleine de bonté et de bons fruits, toute simple et sans feinte. 18 Le fruit de justice est semé dans la paix par ceux qui font oeuvre de paix.

Or, la seule puissance au monde capable de triompher du zèle amer c'est l'amour. Car l'amour ne zèloô pas ; il ne brûle pas d'un zèle fanatique ; il ne se montre pas impitoyable pour faire prévaloir son point de vue. Et même quand il a raison, il ne s'acharne pas contre ceux qui ne pensent pas exactement comme lui. Au contraire, l'amour est modéré, conciliant et respecte les scrupules des autres.

On voit cet attribut de l'amour en Jésus. Le Christ n'avait rien d'un fanatique religieux, bien qu'il y en eût dans son entourage. Vous vous souvenez de Jean et Jacques, les deux « fils du tonnerre » ? Ces deux modèles de la douceur et de la tolérance voulaient, en Luc 9, faire descendre du feu du ciel pour carboniser tout un village de Samaritains qui les avait mal accueillis. Jésus leur dit : « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes animés ! » L'amour prend patience, il se montre bon, il ne brûle pas d'un zèle fanatique.

Il ne se vante pas

Le verbe grec perpereuomai exprime un certain dérèglement d'esprit, un manque de mesure qui se traduit en vantardise. Il s'agit des divagations étourdies du fanfaron, de celui qui est toujours en train de parler de manière à se mettre en vedette. L'agapè ne se vante pas, elle ne débite pas un jacassement prétentieux destiné à faire sentir aux autres le poids de sa supériorité.

Voilà justement l'essence de la vantardise : faire sentir aux autres que vous leur êtes supérieur. C'est une agression qui déclenche chez les autres des réflexes de défense. Galates 5.26 (TOB) : 26 Ne soyons pas vaniteux : entre nous, pas de provocations, entre nous, pas d'envie. Le mot grec traduit « provocation » signifie « défi au combat ou à un concours ». Le vantard met les moins doués au défi de contester sa supériorité ; comme ça, il aura l'occasion de la mettre en valeur. Il veut provoquer les autres à l'envier. Voilà pourquoi il est si difficile d'entretenir une relation d'amour avec le vantard, quelqu'un qui fait toujours mieux ou qui sait toujours mieux, qui fait toujours parade de sa supériorité, que cette supériorité soit réelle ou imaginaire.

Vous l'ignoriez peut-être, mais la vantardise vise expressément à écraser les autres. Elle cherche à les rabaisser en vous élevant. C'est très facile d'être tenté dans ce sens, surtout dans le domaine spirituel. Un jour, devant un visiteur un moine se plaignait que son ordre n'était pas aussi célèbre que les Dominicains pour l'érudition, ni aussi célèbre que les Trappistes pour le silence, ni aussi célèbre que les Franciscains pour les bonnes oeuvres. « Mais, concluait-il, en ce qui concerne l'humilité, nous sommes les premiers. »

Tel était le problème dans l'Église à Corinthe. Les fidèles qui avaient un niveau de connaissance religieuse supérieur tenaient pour quantité négligeable les « ignorants » qui étaient, au sujet de certains scrupules religieux, moins éclairés. D'autres, ceux qui avaient reçu certains dons miraculeux, en mettaient plein la vue aux moins doués. Certains trouvaient un sujet de vantardise même dans leur attachement sectaire à tel ou tel mouvement, à telle ou telle tendance, à tel ou tel enseignant : « Moi je suis de Paul. La prédication simpliste de Pierre suffit peut-être pour vous autres, pygmées spirituels, mais seule la profondeur de la théologie paulinienne peut satisfaire une intelligence supérieure comme la mienne. »

1 Corinthiens 4.7 (FC) : 7 Car qui t'a rendu supérieur aux autres ? Dieu ne t'a-t-il pas donné tout ce que tu as ? Puisqu'il en est ainsi, pourquoi te vantes-tu de ce que tu as comme si ce n'était pas un don ? Supposons, dit Paul, que tu sois même à moitié aussi intelligent ou doué que tu crois l'être. Supposons que tu aies en réalité une spiritualité plus profonde que celle de tes frères. C'est à toi-même que tu en attribues le mérite ? Crois-tu avoir le droit de te vanter aux dépens de tes frères ?

C'est ironique : pour autant que la vantardise nous rebute chez les autres, nous sommes nous-mêmes si prompts à nous vanter, à essayer d'impressionner les autres. Combien d'entre nous peuvent dire à la fin de la journée : « Je n'ai pas parlé de moi-même » ? Quelqu'un a dit qu ce sont les camions vides qui font le plus de bruit. Seul l'amour peut nous empêcher de faire étalage de notre connaissance ou de notre talent ou de notre éducation ou de nos dons et de paraître encore plus bêtes quand il devient évident qu'en nous-mêmes nous ne sommes rien.

Il ne s’enfle pas de vanité

Le verbe grec physioô signifie proprement « gonfler » et désigne l'action d'un soufflet de forge qui se remplit d'air. On le traduit d'ordinaire « enfler d'orgueil ». Mais dans les autres textes où Paul emploie ce verbe, il s'agit moins de l'orgueil proprement dit que de la vaine suffisance que donne une supériorité de connaissance religieuse. Regardons le texte classique. 1 Corinthiens 8.1-2 (TOB) : 1 La connaissance enfle [gr. physioô], mais l'amour édifie. 2 Si quelqu'un s'imagine connaître quelque chose, il ne connaît pas comme il faudrait connaître. Les « connaisseurs » à Corinthe sont moins des orgueilleux proprement dit que des vaniteux. Ils sont très fiers de leur supériorité de gens éclairés et s'affichent comme tels, manifestant leur dédain pour les ignorants.

Ce dédain, ils le manifestent de deux manières. Premièrement, ils se réservent le droit de faire ce qu'ils veulent sans tenir compte des scrupules et de la faiblesse de conscience de leurs frères. Au nom de la liberté chrétienne, ils répètent leur slogan : « Tout m'est permis ! ». En réalité, cette revendication d'indépendance recouvre un égoïsme vaniteux. En agissant d'après la seule lumière de la connaissance religieuse, sans tenir compte des exigences de l'amour, il peut arriver que l'on fasse périr un frère, que l'on cause sa perte spirituelle. Cela ne peut jamais arriver si l'on marche selon l'amour.

Cette vanité se traduit, deuxièmement, en tendance à la ségrégation. Les vaniteux se mettent dans une classe à part et gardent les distances. Attention, ils sont l'élite de Dieu et il faut qu'ils se distinguent de la masse des simples fidèles, des chrétiens ordinaires. Paul dit en 1 Corinthiens 4.6 que les chrétiens de cette Église « s'enflent [physioô] l'un contre l'autre ». Tout fiers de leur petit bagage spirituel, ils tiennent à ce que les autres les reconnaissent comme une élite. Ecoutez, mes amis : il n'y a pas d'élite dans l'Eglise de Jésus Christ, il n'y a que des élus. Entre les deux il y a une différence énorme.

L'amour ne se gonfle pas de vanité. Savez-vous pourquoi ? Parce que la vanité s'estime supérieure aux autres et affiche ouvertement son dédain. L'amour fait le contraire : il regarde les autres comme meilleurs que lui-même et se montre solidaires avec eux. Il se libère des préjugés de la vanité pour reconnaître les mérites de ceux qu'on aurait été porté à négliger. Philippiens 2.2-3 (TOB) : 2 Ayez un même amour, un même coeur ; recherchez l'unité ; 3 ne faites rien par rivalité, rien par gloriole, mais, avec humilité, considérez les autres comme supérieurs à vous.

Il ne fait rien d’inconvenant

L'amour n'agit pas contre la bienséance, il se montre plein d'égards avec chacun. Quand j'étais gosse, ma mère me disait tout le temps : « N'aspire pas comme ça ta soupe ! Ca fait un bruit très énervant. » Moi, je me disais à moi-même (pas tout haut, quand même !) : « De quoi se mêle-t-elle ? J'ai bien le droit de manger ma soupe comme je veux, non ? » Et puis un jour j'ai mangé à côté d'un type qui aspirait sa soupe en faisant un boucan encore plus épouvantable que moi. Alors, j'ai commencé à comprendre le point de vue de ma mère. Elle ne cherchait pas à m'imposer une étiquette arbitraire, elle voulait simplement que je pense à l'effet que mes manières peuvent avoir sur les autres.

Le verbe grec que Paul utilise ici, aschèmoneô, est dérivé d'une racine qui signifie littéralement « sans forme » : a = une négation ; et le substantif schéma = forme. Il désigne un comportement qui sort des limites du bon ordre. Dans notre contexte, la nuance semble porter sur l'oubli de la décence et des égards, sur le manque de tact dans les relations fraternelles.

On pensera, par exemple, à l'audace provoquante de certaines chrétiennes de Corinthe qui se présentaient non-voilées à l'Église, geste qui ne pouvait manquer de choquer. Car, parmi les femmes grecques, seules les prostituées sacrées, si nombreuses dans la ville, sortaient la tête découverte. On pensera au manque d'égards de certains fidèles au cours des repas en commun : ils se hâtaient de dévorer toutes leurs provisions afin de ne pas avoir à partager avec les frères pauvres. Ils couvraient ainsi de honte ceux qui n'avaient rien à apporter alors qu'eux-mêmes se calaient les joues et s'enivraient. On pensera à l'indiscipline et à l'impolitesse des parleurs en langues qui voulaient tous intervenir en même temps dans les assemblées cultuelles et qui exerçaient leur don dans l'absence d'un traducteur.

L'amour ne fait rien d'inconvenant : il devine ce qu'il convient de dire et de faire pour ne pas choquer son frère. Il tient compte de ses sentiments, il évite de le provoquer inutilement, de l'embarrasser ou de le blesser en public. Seul l'amour peut nous sauver de la tendance d'être si insensibles que nous nous permettons de nous comporter sans tact avec nos frères et de mépriser leurs sentiments.

Conclusion

L'amour était le seul espoir des chrétiens de Corinthe, et c'est notre seul espoir. Un amour qui est supérieur au don des langues, à la prophétie, à la connaissance, à la foi, aux bonnes oeuvres, au martyre. Un amour qui prend patience et se montre bon. Un amour qui est la seule puissance au monde capable de nous sauver d'un zèle fanatique, des vantardises de la vanité, et des comportements sans tact.